Sylvestra Bandiera

 
index
 
78 ans, née à Torre Di Mosto
« Moi je n’emmerde personne. »
 
-V- Comment es-tu arrivée en France ?
-Sylvestra- On a quitté l’Italie, moi j’avais 17 ans et demi. Donc je me rappelle. On est arrivé le 26 août 1950. Je peux même te dire qu’on est parti à 2h de l’après midi. Ça, ça s’oublie pas petite. Mon père était dans le nord depuis 48, à Strasbourg. Après 1 an il est parti à l’île de Blaye. On l’appelait « Fiore » parce qu’il était beau.
 
-V- Pour faire quoi ?
-Sylvestra- Mon père c’était la vigne et les vaches. Au bout d’un an, son patron lui a dit : « je fais venir ta famille en France ». On n’a pas payé le voyage, rien. Il nous a fait venir parce qu’il avait besoin de travailleurs. Jovani, Isaia, moi et Sylvia. Alors à cette époque, les patrons te donnaient la maison, une barrique de vin. Attends, c’est pas maintenant hein. 3 litres de lait par jour. On avait le droit de se garder le jardin, la volaille, tout ce qu’on voulait. Et la lumière, on se la faisait soi même. Il y avait des turbines qu’ils allumaient le soir. On avait le poste et tout ça, jusqu’à 10h.
 
 
-V- Vous ne parliez pas Français ?
-Sylvestra- Pas du tout. Parce que tu sais, tu laisses derrière ton langage, ta culture, tout, ta famille. Moi je n’oublie pas, parce que je peux te raconter de A à Z.

Sur l’île y’avait un marin qui faisait les courses. C’était extraordinaire. Tout le monde se connaissait. On était 12 ou 13 familles. On avait l’église. On allait à la messe. Y’avait l’instituteur et tout. Je te jure que c’était vraiment bien. On allait chez les voisins. Jovani, il avait l’accordéon, il faisait sauter toutes les soirées. Mon père, c’était la trompette et tout le bastringue. Zaza, c’était l’harmonica. L’autre c’était le tambourin, l’autre c’était la guitare. Alors quand il y avait la houle, on sortait pas. C’est horrible. On a manqué d’y rester. Un matin y’avait une messe à Blaye. On voulait voir comment ça se passait. On prend le bateau, y’avait un vent pas possible, le moteur c’était arrêté. Ça tanguait, comme ça. Mon père il a dit : « écoutez, on va finir l’année avec mes enfants mais moi, je veux plus le refaire ».

On allait aussi à la guinguette à Blaye. Les gens dansaient. C’était une autre vie. C’était la plus belle vie qu’on a eu. On allait aussi au cinéma.
 
 
Après mon père à trouvé un nouveau patron à Plassac. Il lui a dit : écoutez Monsieur Basso, je vous prends mais moi, je voudrai voir vos enfants ». Mon père tout fier… On va dans une pièce et là… ça nous a bloqué. Il nous a dit : « alors les drôles, vous voulez travailler ? Allez sortez vos mains ». Il nous a aligné autour. Tu sais on avait des cornes dans les mains. Il dit : « c’est bon, j’ai assez, moi, je vous emploie ». Et nous, ça nous avait fait mal. Comme des esclaves. Et petit à petit, si tu savais. Quand je me suis mariée, c’est lui qui nous a payé les noces. C’est une autre époque.

Quand on est arrivé à Sainte-Foy, tu sais que mes parents parlaient qu’avec les Doche. Personne ne voulait voir les Macaronis. Là, on en a souffert.

Et puis on est resté 12 ans à Picon. On avait les vignes, 45 vaches.
 
 
-V- Qu’est ce que vous faisiez de votre temps libre ?
-Sylvestra- Je faisais de la couture le soir. Pour avoir un peu d’argent. Toutes les robes de mariée c’est moi qui les ai faites. Et le dimanche je partais au football avec tous mes drôles. À tous, y’avait l’équipe. Quand ils gagnaient, soit chez moi, soit les autres, on soupait tous ensemble. C’était la fête.
 
-V- Ils jouaient où ?
-Sylvestra- À Margueron. Attends, ils étaient montés en Ligue d’honneur. Mon mari, tu sais, il fallait pas toucher ses gosses. Il faisait la police si tu veux, dans le terrain.

Voilà ma photo de famille.
 
 
-V- T’avais des bonnes joues.
-Sylvestra- Ça allait. Maintenant, elles sont dégonflées !
 
 
-V- Tu faisais des repas pour la cave ?
-Sylvestra- Oui, j’ai commencé par faire les repas pour les vendanges. Quand Monsieur Mitterrand était venu pour l’inauguration. Et puis de là, j’ai fait des repas pour des châteaux. 3 ans j’ai fait ça. Attends, on avait pas de lave vaisselle. J’étais obligée de porter les assiettes chez moi. Le directeur de la cave, il est parti tu sais, la veste, elle se croisait plus.
 
-V- Pourquoi, il avait trop mangé ?
-Sylvestra- Non, il pouvait plus boutonner parce qu’il avait 2 portefeuilles. On a appris ça chez nous, quand tu parles avec quelqu’un, il faut jamais dire le nom. C’est dire les choses sans vexer personne.
 
 
-V- C’est pour ça que vous vous donnez des surnoms entre frères et sœurs.
-Sylvestra- Palmiro, c’est Palm. Jovani, c’est Nane. Isaia, c’est Ech. Sylvana c’est Gerbeda. Vilma, c’est Striguetta ou Poppi. Mario, c’est Marietti.
 
-V- Qu’est ce que ça veut dire Striguetta ?
-Sylvestra- Petite sorcière. Parce qu’elle veut toujours avoir raison.
 
-V- Et toi ?
-Sylvestra- Beta. Ça veut dire que je dis la vérité en face.
 
 
 
 
-V- Ça se passe bien avec les voisins ?
-Sylvestra- …Moi je n’emmerde personne.
 
 
11 octobre 2011, Saint-André-et-Appelles