Jean-Pierre Merlet

 
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61 ans, Charcutier à Sainte-Foy-la-Grande
« Je fais l’andouille comme mon père ! »
 
-V- Depuis quand avez-vous ce commerce ?
-J-P Merlet- Depuis que mon père fait l’andouille. Lui, il est arrivé ici en 27.
 
-V- Vous habitez au-dessus du magasin ?
-J-P Merlet- Voilà.
 
-V- Et vous êtes né dans votre maison.
-J-P Merlet- Voilà.
 
-V- Vous êtes boucher ou charcutier ?
-J-P Merlet- Je suis charcutier.
 
-V- Alors, la différence entre les 2 ?
-J-P Merlet- Y’en a plus beaucoup. Bouchers-charcutiers, eux ils font de la revente, ils font pas de la fabrique. Alors que moi je suis fabricant. Comme les épiciers, comme les pharmaciens. Autrefois, ils fabriquaient et aujourd’hui, ils revendent. Et le boucher-charcutier a la même valeur. Un boulanger-pâtissier, les 3⁄4 du temps, c’est pareil. Faut pas rêver. À chacun sa spé.
 
 
 
-V- Vous travaillez beaucoup ?
-J-P Merlet- Mais, les 35 heures, je les multiplie par 2.
 
-V- Le dimanche vous travaillez ?
-J-P Merlet- Le jour du seigneur, vieille France, je le respecte.
 
-V- Alors qu’est-ce que vous faites de vos dimanches ?
-J-P Merlet- Ha, ça, c’est indiscret… J’ai mon amie qui est dans l’Hérault. Donc, je fais la navette.
 
-V- Ça vous plaît Sainte-Foy ?
-J-P Merlet- [silence…]
 
-V- Vous aimeriez aller ailleurs ?
-J-P Merlet- Honnêtement, oui. Parce que depuis les transformations qu’il y’a eu au niveau de l’agencement de la circulation, c’est lamentable. On a perdu beaucoup de la clientèle. Authenticité. C’est pas une rêverie, c’est la réalité. La circulation était plus facile, le stationnement était plus facile. Et le père Maumont… il a démoli la ville. Et au travers de ça, bein, on a perdu une clientèle. Qui que ce soit. Ça remonte autour des années 87-88. Il a mis par terre le centre ville. Alors, les gens qui auraient pu venir en ville, leur système de ravitaillement se fait à l’extérieur. Et faire revenir un client en centre ville, c’est pas évident. D’autant plus que le stationnement n’est pas simple.
 
-V- Et le samedi matin vous avez plus de client avec le marché ?
-J-P Merlet- Ha certes oui. Mais par contre la personne qui faisait hier le placement, a pris sa retraite, et le placement n’était pas assuré. Le relais n’était pas assuré. Parce qu’elle savait quadriller son marché. Elle savait comment situer les marchants. Aujourd’hui, bon bé, c’est le n’importe quoi.
 
-V- Mais vous, vous n’avez pas de stand sur le marché ?
-J-P Merlet- Moi, je suis traditionnel, je reste dans la boutique.
 
-V- Vous avez une spécialité culinaire ?
-J-P Merlet- Tout est fait maison, le saucisson, le jambon, tout. Ça peut paraître bizarre mais c’est la réalité. Le boudin, les gens ont tendance à l’ignorer, je le pratique encore au couteau. C’est fait manuellement.
 
-V- Dans le cochon tout est bon.
-J-P Merlet- Même le poil. Y’en a qui font des trucs avec le poil. Non mais sérieux ! Je m’en rappelle plus, y’a un truc, ils s’en servent !
 
 
-V- Vous avez quel âge ?
-J-P Merlet- Je suis né en 45, vous faites la différence.
 
-V- Quel est le produit le plus demandé ?
-J-P Merlet- Le gratton de Lormond [avec un "d" sur l'écriteau]. Parce que le gars qui l’a créé est de Lormont. Ce qui symbolise l’histoire, c’est que c’est un morceau de cuisse, c’est pas un morceau de nerf, ou comme ça. Et de ça est issue la rache. On sert ça sur du pain grillé aillé, et à l’apéro, c’est un régal. Ce sont des recettes que m’a appris mon père.
 
-V- Ça se perpétue de génération en génération
-J-P Merlet- Je fais l’andouille comme mon père ! [rires]
 
 
-V- Vous n’avez pas envie de former quelqu’un pour reprendre la boutique ?
-J-P Merlet- De quoi ? [air sceptique]
 
-V- Y’a quand-même des jeunes charcutiers sur le marché du travail ?
-J-P Merlet- Des bons à rien, oui. Écoutez, derrière moi, j’ai quand même 23 ans de chambre des métiers, et des problèmes d’apprentissage, j’en ai vu quelques-uns. C’est une catastrophe. On est dans une situation délicate, précaire. Y’a plus personne qui entre en apprentissage, quel que soit le métier, ce qui est grave ! Les gens se rendent pas compte. Non mais on sourit devant un phénomène qui est gravissime ! […] Le boudin est un produit aphrodisiaque [rires]. Ça et les abats. Mais pour effet se passe, il faut en bouffer.
 
-V- Oui mais on devient gras.
-J-P Merlet- Non mais y’a un manque d’informations. Sachez que le boudin et les rillettes ne sont pas porteurs de cholestérol. Y’a un manque d’informations dans la société mais c’est grave. Il faudrait être un peu plus réaliste. Ce qu’on demande, c’est la facilité. Dans les grandes surfaces vous avez tout sous le truc, bon, point. C’est un gain de temps.
 
 
-V- Auriez-vous une anecdote à raconter ?
-J-P Merlet- Y’a un gars qui rentre comme ça, il demande des côtelettes. À l’époque j’écoutais France Inter, et Claude Villers, c’était l’animateur. Et je me dis, cette voix je la connais. Je regarde, je me retourne, c’était lui. On s’est mis à discuter là, pendant une demi-heure, 3⁄4 d’heure, et depuis, quand il vient dans la boutique ou pour quoi que ce soit, il vient au devant de moi. C’est pas croyable ! C’est un type au demeurant qui est charmant, qui est exceptionnel. Ha oui, oui, oui, oui.
 
-V- Et à votre retraite, vous comptez rester dans le coin ?
-J-P Merlet- La question. Je sais pas moi-même. Je pense que je vais naviguer entre l’Hérault et ici.
 
-V- Et si vous deviez choisir ?
-J-P Merlet- Et bé, je choisirais le va et vient.
 
 
-V- Vous êtes quand-même attaché à votre ville.
-J-P Merlet- Ouais, enfin tout ça c’est banal. [tout en nous montrant le morceau pendu au crochet] Ça, voilà un truc, c’est une spécialité. C’est de l’oncture. C’est de la pane. Cette histoire là, y’ a 6 couches les unes sur les autres. L’usage, c’est pour faire des hachis, ça remplace le lard. Alors maintenant comme je suis le dernier charcutier foyen, je perpétue la tradition.
 
 
 
-V- Alors, une petite recette ?
-J-P Merlet- Le jambon, comme ça, de pays, sur la braise, avec un peu d’échalote. À portée de main, une petite bouteille de rosée. C’est beaucoup de détails qui sont, ma foi, intéressants
[…]
C’est marrant parce que ma sœur, elle est chef de service de psychiatrie à Bordeaux. Alors, c’est marrant, enfin, les situations qui se créent.
[…]
[Parlant de Monsieur Colet, client et ami, qui vient de sortir du magasin] Néanmoins, j’étais toujours avec eux, c’était un groupe de copains. On allait souvent à Bordeaux là, au village 4. Là-bas c’était plus intéressant, y’avait des filles, oui, elles étaient plus fertiles [rires].
[…]
C’est curieux la vie, comme ça. J’ai un pote, proviseur à Hendaye, alors le mec il était pion à l’époque. Bon, il faisait ses études, c’était entre midi et deux, alors il m’invitait, on repérait les nanas, le soir on sortait, ha ha ha ! Incroyable. Et Colet, il faisait partie du groupe en question […]
À l’armée, j’étais chauffeur d’un mec que j’emmenais au lycée Grand le Brun. Il est venu bouffer 2 fois à la maison. Et il paraît, je rebondis sur le fait qu’il disait qu’aujourd’hui, c’est pas nous qui passons, c’est le temps qui va trop vite. Et en vérité, il a raison. On se rend pas compte. Ça va trop vite. Et une vie, bein, on n’a pas le temps de se positionner etc… On comprend pourquoi maintenant, les gens, ils font des mômes à 40 ballets. Ils ont pris le temps de la réflexion. Quitte à bon bein, s’asseoir dans la vie aussi. Et pas partir non plus à l’aventure.
 
 
 
-V- Et vous, vous avez choisi ce que vous faites ?
-J-P Merlet- Ouais, ouais mais enfin, par force. Au départ je voulais faire du droit , ouais, le droit m’a toujours intéressé. Mais à l’époque, les choses étaient plus faciles. Il faut remettre tout dans son contexte.
 
anecdote étudiante (<1 Mo)
 
 
17 août 2006, Sainte-Foy-la-Grande, 57 rue Victor Hugo