Lionel Félix |
|
|
|
courtepointier |
« Derrière un fauteuil, y’a toujours une histoire. » |
|
|
-L. Félix- Alors courtepointier, y’en n’a pas un qui fait tilt en se disant : « Je ne connais pas ce nom de métier. » Alors je passe par l’humour en disant: « Ne le jouez pas au scrabble, il n’est pas dans le dictionnaire. » |
|
|
|
-V- Il a été sorti du dictionnaire ? |
-L. Félix- Oui. Parce qu’au 18e siècle, on a fait un procès aux courtepointiers. En fait les courtepointiers, qui n’avaient pas pignon sur rue, travaillaient dans les cours avec leurs pointes. Les tapissiers, eux, étaient des tisserands. Ils tissaient en haute et basse-lisse. Et donc ils faisaient des tapis et des tapisseries. Les courtepointiers, eux, mettaient en place ces tapisseries. Jusqu’à un moment où, c’est bien français, les courtepointiers ont rajouté des grandes bandes tout autour des tapisseries. Donc les tapissiers ont fait un procès aux courtepointiers, pour qu’ils arrètent de mettre des bandes autour des tapisseries. Mais en 521, les deux corporations se sont rejointes et ils sont devenues des tapissiers d’ameublement. |
|
|
|
-V- Vous êtes nombreux à exercer ce métier ? |
-L. Félix- Alors on est 2 en France. Oui on se bat pas. Alors pourquoi j’ai pris le mot courtepointier. C’est que je suis très médiatisé et que j’ai besoin de pub. Comment on fait du marketing aujourd’hui ? C’est d’attirer la curiosité et de se retrouver en costume d’époque. |
|
|
|
-V- Ah c’est vous avec la perruque ! Où a été prise cette photo ? |
-L. Félix- Au château de Duras. Et ça, ça me permet de faire une médiatisation parce que je suis courtepointier, parce que je suis en costume d’époque. C’est comme ça qu’on se retrouve dans les 54 millions d’artisans de France et qu’on se retrouve avec ceux qui ont fait le dôme des invalides. C’est très amusant. Comme je dis toujours : « Moi je m’amuse, je travaille pas. » |
|
|
|
-V- Donc les gens vous apportent leur fauteuil ? |
-L. Félix- Oui. Là on refait tout de A à Z. C’est monsieur et madame Tout-le-monde qui viennent pour se faire plaisir. |
|
-V- Vous avez un modèle de référence sur lequel vous appuyer ? |
-L. Félix- Non, pourquoi ? je m’embêterais. Non, l’idée, c’est que chacun se fasse plaisir, déjà d’une. Ça va faire 30 ans que je donne des cours et j’essaye que les gens soient libres. Oui on vit dans une société, quand même, où on cherche la liberté. On est très tendance ici. |
Alors, y’a pas de magie, les semences sont dans ma bouche (Il crache une semence sur le marteau). Non, j’ai pas une bave de crapaud. Non, pas encore. C’est vrai que ça, ça amuse beaucoup les enfants. Ils adorent parce que je leur fais compter les semences que j’ai dans la bouche. |
|
|
|
-V- Vous en avez encore là ? |
-L. Félix- Oui, une vingtaine. |
|
-V- Incroyable ! C’est pratique. |
-L. Félix- Ça nous fait 3 mains. Là on travaille comme on travaillait au 18e. Là c’est du crin de cheval. Ça part pour 200 ans à peu près. On est très écolo. On a que du cuir, du lin, du coton. Ça c’est de la fibre de noix de coco. Tout est important, le son, l’odorat. Avant on avait du crin végétal. Il parfumait l’atelier. Quand on rentrait on savait à qui on avait à faire. Rentrez chez un tapissier, si vous entendez l’agrafeuse et si vous sentez la néoprène, c’est tout faux. |
|
-V- Qui sont vos clients ? |
-L. Félix- Ils viennent du monde entier. C’est vrai qu’à Gensac, on n’a pas l’impression. Le plus amusant de l’histoire, c’est les gens qui viennent de la déchetterie et qui passent devant chez moi, s’arrêtent pour me demander des trucs. Là tu te dis, quelle relation avec la déchetterie ? J’ai eu comme ça une salle à manger de New York, Beverly Hills… Je le sais quand je reçois le chèque. Ça m’est arrivé avec des russes. Les russes, c’est un peu spécifique. Ils m’ont emmené 12 sièges à faire un mardi, ils m’ont dit : « Mardi prochain, on vient les chercher, votre prix sera le mien. » |
|
|
|
-V- Le travail était intéressant ? |
-L. Félix- Non pas intéressant du tout. En plus ils en avaient rien à secouer. Je déteste travailler pour des gens qu’en ont rien à foutre. Et c’est souvent que ça se produit. Pourquoi les cours ont été créés ? À cause de ça. Y’a 54 passages sur un siège. J’essaie toujours que les cours soient très conviviaux. Quand les gens en ont marre ils posent le marteau. |
|
-V- C’est pas facile quand même de maîtriser la technique quand on est élève. |
-L. Félix- Mes élèves, je les laisse jamais en galère. L’idée, c’est pas de faire un cours pour me rapporter de l’argent mais pour que je puisse manger, nuance. Ça veut dire que quand je fais de la restauration à haut niveau, je pourrais prendre 2000 euros par siège. Et là, y’en a que pour 800 euros par siège. Sauf si c’est des emmerdeurs et qui me prennent pour un con. |
|
-V- Vous avez déjà un stock de tissus ? |
-L. Félix- Non, tout est sur mesure. Les gens choisissent leur tissu mais je leur dis : « Restez dans le raisonnable. » Là aussi, c’est pas de vendre, c’est de conseiller. Le grand malheur de nos métiers, c’est faire tout et n’importe quoi. |
|
-V- On peut regarder vos outils ? |
-L. Félix- Le plus vieux des marteaux, c’est celui-là. Il est du 18e siècle. C’est ce qu’on appelle un Ramponneau. Y’a des carrelets, des doubles pointes, le tire-crin, le ciseau à dégarnir, les maillets, les différentes semences, de la plus petite jusqu’à la plus grosse. On est des créateurs de bonheur. Quand les gens ont leur siège, ils sont en émerveillement, même si on voit tous les défauts. Et puis vous avez des élèves qui sont un peu plus créatives. Et donc, je me retrouve un peu plus en galère. |
|
|
|
-V- Est-ce que vous avez déjà eu des commandes un peu folles ? |
-L. Félix- Oui y’en a une, j’ai mis 2 ans à la faire. C’était des sièges japonisant. |
|
-V- Vous avez eu des clients célèbres ? |
-L. Félix- J’ai eu Sardou, Dalida. J’ai fait une tenture murale pour elle. Elle nous a fait changer 7 fois de tissu. On l’a jamais vu hein, on passe toujours par des intermédiaires. Les gens connus, c’est généralement des gens qui s’en foutent complètement, qui nous respectent pas. Ça va Dominique ? Il faut rajouter des semences là ! |
|
|
|
-V- Vous faîtes toujours des démonstrations en costumes ? |
-L. Félix- Non, ce temps-là est révolu. J’ai eu mon atelier pendant un an au château de Duras. J’ai formé 4 apprentis, dont ma fille qui a été meilleure apprentie de France et qui a abandonné. Devinez ce qu’elle fait comme travail maintenant ? Elle en avait marre des huissiers, de tout ça, bein, elle travaille aux impôts. C’est dire la complexité de nos métiers. Les gens pensent que je gagne de l’argent. Mais comme je dis aux enfants, quand vous aurez trouvé un métier où vous sifflez le matin et quand vous repartez le soir, vous sifflez ; c’est que vous aurez gagné. Ça, ça n’a aucun prix. |
|
visite de la remise |
|
-L. Félix- Ça, c’est beaucoup de choses des gens qui ont abandonné. J’ai des méridiennes, des fauteuils anglais. J’ai des voltaires, j’ai des fauteuils Louis 13. Là un canapé-lit. Là des sièges des années 60. Et y’en a autant là-bas, autant là-bas, j’en ai un peu partout. |
|
-V- C’était un appartement avant ? |
-L. Oui, j’ai appris que le monsieur a tué sa femme ici. Ambiance sympa. Le numéro 17, c’était renommé comme un coin dangereux. Les canettes de bouteilles passaient par la fenêtre. |
|
-V- Vous avez fait d’autres métiers ? |
-L. Félix- Oui, fallait bien manger. J’étais aux pompes funèbres et je voulais devenir thanatopracteur. |
|
-V- Y’a toujours ce petit côté restauration. Pourquoi vous n’êtes pas allé au bout ? |
-L. Félix- Parce que j’ai changé de femme. Je suis quand même à la cinquième femme. Quand on aime, on ne compte pas. |
|
-L. Félix- Un jour j’ai un collègue tapissier qui rentre et qui me dit : « C’est toi qui a le troisième ! J’avais trouvé celui de Paris, j’avais trouvé celui de Lille, mais j’avais pas trouvé celui de Bordeaux. » En fait ce fauteuil appartenait à une maison close et donc il se dépliait et se repliait très facilement et quand il y avait une vérification de police, ça se voyait pas quand il était replié. Je l’ai trouvé dans une brocante. J’ai mis trois jours à comprendre comment il se montait. Derrière un fauteuil, y’a toujours une histoire. |
|
|
|
|
14 février 2022, Gensac |